Point de vue…
du Pr Georges Fournier
Au coeur du débat entre les « pour » et les « contre » le dépistage du cancer de la prostate, les hommes de plus de 50 ans sont indécis. Leur demande répétée nous a conduit à rédiger cette lettre afin d’essayer d’éclairer leur choix du dosage ou non du PSA.

Lettre à un homme de plus de 50 ans qui se pose la question de l’utilité ou non du dépistage du cancer de la prostate

Le dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA et toucher rectal annuel à partir de la cinquantaine est à l’origine d’un débat entre les « pour » et les « contre ». Chacune des parties livre sa vérité à partir d’arguments souvent difficiles à comprendre par nos concitoyens non spécialistes. Plutôt que détailler ces arguments, avec le risque de ne pas aider les hommes concernés à se positionner pour eux-­‐mêmes en pleine connaissance de cause, il me paraît intéressant de donner aux lecteurs quelques repères issus des 30 dernières années. En effet, le privilège d’avoir plus de 55 ans pour un urologue est d’avoir assisté à l’évolution de la médecine, en particulier dans le domaine du cancer de la prostate. Domaine, qui a vu plusieurs révolutions à la fois pour le diagnostic, mais aussi dans la façon de traiter ce cancer de la prostate.

Quelle est la situation avant la fin des années 1980 ?
Le dosage du PSA dans le sang n’existe pas encore. Les urologues, dont je faisais déjà partie, voient en consultation des hommes atteints de cancer de la prostate à un stade évolué dans la majorité des cas. Cela signifie que ce cancer, découvert trop tard, a essaimé sans bruit en dehors de la prostate pour atteindre les organes voisins et à distance. Le seul traitement possible à ce stade était alors de supprimer les hormones masculines afin de retarder l’évolution inéluctable vers le décès.
Les hommes atteints et leurs familles se posaient légitimement la question du pourquoi d’un diagnostic si tardif. La réponse était que le cancer de la prostate au stade local et précoce de son évolution ne donne aucun symptôme, et comme il n’existe pas encore de marqueur biologique ou d’examens d’imagerie (échographie, scanner, IRM) qui permettent de le trouver plus tôt, on ne peut pas faire davantage.

Au début des années 1990, le PSA est découvert. Ce marqueur sanguin, dosé dans le sang, commence à être utilisé en routine par les urologues et les médecins généralistes. Pourquoi ? Il apparaît que le PSA, lorsqu’il augmente, peut être le témoin d’un cancer de la prostate au début. Néanmoins, il ne progresse pas seulement en cas de cancer, mais aussi lorsque la prostate augmente de volume avec l’âge. C’est la raison pour laquelle, en cas d’anomalie, des ponctions de la prostate (biopsies) vont être effectuées afin de savoir s’il y a cancer ou pas. A partir de cette découverte, le monde médical voit enfin une solution pour ne plus assister impuissant à l’évolution inéluctable d’une maladie découverte trop tardivement. Le cancer de la prostate est enfin détecté plus tôt et traité pour la première fois avec la perspective de guérir les patients atteints. Se développent alors les techniques de prostatectomie chirurgicale et de radiothérapie externe pour traiter la prostate cancéreuse avant propagation dans l’organisme et par conséquent pour offrir le maximum de chances de guérison. C’est une avancée majeure, comportant comme tout progrès en médecine, une contre-­‐ partie. En effet, les hommes traités, dont la moyenne d’âge à l’époque est de l’ordre de 65-­‐70 ans, voient apparaître les effets secondaires urinaires et sexuels de ces traitements. Force est de constater que cette victoire sur la maladie s’accompagne parfois d’un lourd tribut en terme de qualité de vie pour ces patients, qui s’étaient vu découvrir un cancer de la prostate sur une simple prise de sang alors qu’ils se sentaient en pleine forme, sans aucune gêne.

Au cours de la décennie suivante 2000-2010, deux phénomènes vont se produire : l’amélioration des techniques de traitement et la meilleure connaissance de la maladie découverte précocement grâce au PSA.

  •  Les progrès thérapeutiques conduisent à une réduction importante des effets secondaires :
    + Pour la chirurgie, la mise au point de techniques plus précises permet par exemple la préservation des nerfs de l’érection quand elle est possible ; elles sont aussi moins invasives et moins hémorragiques grâce à la coelioscopie. La chirurgie assistée par le fameux robot Da Vinci améliore encore les performances des chirurgiens des établissements équipés.
    + Pour la radiothérapie, grâce aux progrès technologiques, les rayons ciblent mieux la prostate et ont, par conséquent, moins d’effets secondaires au niveau des organes de voisinage, vessie et rectum. Toujours dans le domaine de la radiothérapie, la curiethérapie est particulièrement adaptée à certaines formes de cancers découverts très précocement, dès lors que le bilan permet d’affirmer avec le maximum de certitude que la maladie n’a pas franchi les limites de la prostate (ce qui représente un tiers des cas environ). Cette technique, qui consiste à mettre en place des particules métalliques provisoirement radioactives, a été et reste cependant encore sous utilisée, alors que ses effets secondaires, en particulier sexuels, sont moindres qu’avec la chirurgie.
  • Au cours de cette décennie, les médecins spécialistes du cancer de la prostate acquièrent une meilleure connaissance de la maladie.
    + Clairement, il n’existe pas un cancer de la prostate, mais plusieurs formes, qui diffèrent par leur stade de développement (tumeur de petite taille localisée au sein de la prostate ou au contraire plus volumineuse), et leur vitesse d’évolution (les cellules cancéreuses se multiplient très lentement ou à l’autre extrême de façon rapide).
    + L’autre élément important est l’âge de l’homme au moment du diagnostic.
       -­ A titre d’exemple, un homme de 72 ans chez qui il est trouvé sur biopsie une tumeur de 3 mm, dont l’agressivité est faible (attestée par le résultat de l’analyse au microscope) ne verra probablement pas sa vie menacée du fait de son espérance de vie naturelle qui est de moins de 15 ans à l’heure actuelle. Pendant ce temps, la tumeur grossit bien sûr, car tous les cancers de la prostate évoluent, mais suffisamment lentement pour qu’elle n’atteigne pas le stade des métastases, stade où la vie est menacée. Ainsi cet homme, bien qu’atteint d’un cancer, a plus de risque de mourir de vieillesse que du cancer. En conséquence, vouloir absolument le traiter pour éradiquer la tumeur apparaît démesuré au vu des effets secondaires possibles des traitements actuels, avec le risque d’altérer la qualité de vie de cet homme vieillissant sans bénéfice sur sa durée de vie. Voilà pourquoi le dépistage du cancer de la prostate n’est raisonnablement pas proposé aux hommes dont l’espérance de vie est inférieure à 10-­15 ans, c’est à dire 70-­75 ans en France.
       -­ A l’opposé, chez un homme de 60 ans, découvrir un cancer au stade débutant, mais avec une forme plus agressive et/ou une taille de tumeur plus importante, représente un véritable danger pour sa vie. En l’absence de traitement, la tumeur évolue plus vite que dans le cas précédent, vers l’apparition de métastases et elle conduit au décès en quelques années (moins de 10 ans). L’information la plus complète et précise doit accompagner ce type de situation.
       -­ Entre ces deux exemples caricaturaux, il existe des cas intermédiaires pour lesquels chaque situation mérite d’être analysée « sur mesure », en prenant en compte l’espérance de vie supposée du patient, mais aussi l’agressivité de la tumeur, autrement dit le risque d’en mourir en l’absence de traitement.

La démarche de décision de traitement ou non, adaptée à chaque cas particulier, constitue le progrès le plus significatif des 10 dernières années.

  • Voilà pourquoi les « pour » le dépistage proposent le dosage du PSA et le toucher rectal à partir de 50-­55 ans et jusqu’à 70-­75 ans. Ce n’est qu’en cas de PSA anormalement élevé ou d’anomalie au toucher rectal (ce qui est devenu beaucoup plus rare), que des biopsies sont effectuées. Un cancer est détecté dans un quart des cas, et dans moins de la moitié de ces cas, il s’agit d’une forme agressive.
  • Que se passerait-­il si l’on suivait la proposition des « anti dépistage » ? Il est sûr qu’on retrouverait la situation d’avant 1989, époque ou le cancer de la prostate était constamment découvert trop tard, avec aucune chance d’être traité à temps pour éviter d’en mourir. Ce serait une régression considérable et nul homme de bon sens ne peut se résoudre à accepter ce risque aujourd’hui. Qui viendra expliquer en 2012, à un homme de 65 ans avec des métastases qu’il y avait une possibilité de le guérir s’il avait effectué le dosage du PSA quelques années plus tôt ? Assurément pas les opposants au dépistage.

L’essentiel aujourd’hui, de mon point de vue, n’est pas de discuter l’intérêt ou non du dosage du PSA. Ce marqueur est imparfait (c’est le témoin d’une anomalie dans la prostate et non toujours d’un cancer), et il conduit à des biopsies qui se révèlent souvent inutiles. Mais c’est le seul outil, dont nous disposons actuellement. L’essentiel de la discussion concerne les cas du cancer débutant, détecté sur biopsies, pour décider avec le patient ce qui apparaît le mieux pour lui. Dans ce cadre, il convient de prendre le temps nécessaire pour lui donner les éléments qui fondent la décision en utilisant des termes compréhensibles par tous.

  • Pour un cancer peu agressif et de petite taille chez un homme, dont l’espérance de vie est de plus de 10 ans, plusieurs options se présentent, à discuter dans le détail avec l’urologue :
    + Soit se donner quelques mois pour juger de la vitesse d’évolution de ce petit cancer en mettant « sous surveillance » la prostate, c’est à dire suivre l’évolution du PSA et l’aspect de la prostate en IRM, refaire des prélèvements quelques mois plus tard. Un traitement est effectué si la tumeur paraît évoluer plus rapidement que prévu, une poursuite de la surveillance dans le cas contraire.
    + L’autre choix est de traiter d’emblée, mais en utilisant les techniques les plus adaptées pour limiter les effets secondaires, telles que la curiethérapie ou la chirurgie effectuées par des praticiens rompus à ces techniques.
    + Enfin un choix intermédiaire se profile, c’est le traitement dit « focal » qui consiste à ne traiter que la zone de la prostate où les biopsies ont montré les cellules cancéreuses. Divers moyens sont à l’étude tels que les ultrasons, les rayons, ou encore le froid. En théorie, si le traitement n’apparait pas suffisant, un retraitement est envisageable secondairement sans compromettre les possibilités de guérison. Laissons le temps aux centres spécialisés de donner quelques garanties sur la sécurité de cette nouvelle voie de traitement.
  • A l’opposé, un cancer agressif ou plus volumineux doit être traité sans délai de façon énergique, car le risque évolutif y est majeur. Les effets secondaires des traitements sont plus importants (sexualité), mais sans doute moins difficiles à accepter compte tenu des risques encourus à moyen terme (risque vital à moins de 10 ans).

Ces exemples illustrent que le sur-­traitement est une réalité si on traite tous les patients de la même façon sans prendre en compte les caractéristiques de la maladie et l’âge du patient. Les années passées l’ont démontré, mais c’était hier. Les connaissances progressent, les médecins adaptent leurs stratégies de diagnostic et de traitement en fonction de l’évolution.

L’avenir proche devrait nous venir en aide de plusieurs façons :

  • Trouver un marqueur du cancer de la prostate qui permette sur un simple prélèvement d’urine ou de salive et non plus sur une prise de sang, de savoir si on est atteint de cancer. Si en plus, ce marqueur peut nous donner des éléments qui permettent de distinguer les cancers agressifs des autres, ce sera l’idéal.
  • Disposer d’une technique d’imagerie qui détecte précisément un cancer de la prostate en effectuant un bilan à intervalles réguliers. Pour l’instant nous n’y sommes pas. Les échographies et autre scanners, qui montrent si bien les tumeurs d’autres organes, sont pris en défaut dans le cancer de la prostate. Le plus contributif est actuellement l’IRM (imagerie par résonance magnétique nucléaire), qui s’améliore année après année. Ce serait bien sur une autre révolution car au delà d’avoir l’image du cancer, cela permettrait par exemple de juger de la vitesse d’évolution d’une petite tumeur et de la traiter en cas d’évolution rapide. Cela pourrait aussi permettre de privilégier les traitements par curiethérapie, ultrasons ou autres techniques peu invasives et de réduire les effets secondaires. Enfin l’efficacité pourrait être affirmée par la disparition des images anormales.
  • Découvrir des molécules qui puissent guérir même en cas de tumeur découverte trop tard. Ce fut le cas dans le passé pour le cancer du testicule par exemple, alors pourquoi pas pour la prostate ?

Les progrès de la médecine et la connaissance de cette maladie ne s’arrêteront pas. Aujourd’hui les instruments à notre disposition sont certes imparfaits, mais ils sont malgré tout un réel progrès si l’on se reporte quelques années en arrière. Néanmoins, beaucoup reste à faire compte tenu des 8 à 9000 patients qui meurent chaque année en France du cancer de la prostate.

Soulignons l’apport des robots chirurgicaux qui sont des machines de grande qualité pour aider à opérer et qui ont permis aux chirurgiens urologues de faire toujours mieux. Utilisons les seulement à bon escient quand opérer est nécessaire. Ne sous-­estimons pas les progrès de la radiothérapie délivrée par des machines toujours plus performantes. Soutenons les médecins spécialistes du cancer de la prostate, qui s’adaptent en permanence à l’évolution des connaissances pour proposer ce qui paraît le meilleur choix entre ne pas en faire trop ou pas assez pour cette maladie aux multiples formes qu’est le cancer de la prostate.

Chaque homme doit être suffisamment informé pour décider si oui ou non il souhaite être dépisté par le dosage du PSA. Refuser peut être une bonne option si on a la chance de ne jamais être atteint de cancer de la prostate, mais on ne peut en juger hélas qu’à postériori. En revanche, si on a la malchance d’être atteint par ce cancer, l’absence de dépistage expose au diagnostic d’une maladie à un stade non curable. Accepter le dépistage, c’est se donner les meilleures chances de ne pas en mourir si on est un jour atteint d’un cancer de la prostate agressif. En cas de cancer peu agressif, c’est la possibilité d’être mis sous surveillance étroite, dite active, ou d’être traité avec des méthodes actuelles moins invasives et avec un risque mesuré d’effets secondaires. Chaque homme, fort heureusement, est libre de décider pour lui même quelle est l’approche qui lui convient le mieux.
Choisir entre deux options suppose de comprendre les enjeux et d’avoir des informations de qualité et compréhensibles afin d’effectuer ce choix « éclairé ».

Pr Georges Fournier
Chef du Service d’Urologie & chef de pôle Cancérologie, Transplantation, Uro-Viscéral Centre Hospitalier Régional de Brest
georges.fournier@chu-brest.fr